"En 2027, la rémunération sortira de sa boîte noire." Virgile Raingeard

Une nouvelle directive sur la transparence des rémunérations a été adoptée par le Conseil Européen en avril 2023. Les pays de l'UE disposent désormais d'un délai de trois ans pour "transposer" la directive en adaptant leur législation nationale pour tenir compte des nouvelles règles. Elles sont regroupées en 3 ensembles :

☞ Accès à l'information :

  • les employeurs devront informer les demandeurs d'emploi du salaire de départ ou de la fourchette de rémunération initiale des postes publiés,
  • les employeurs ne pourront pas interroger les candidats sur l'historique de leurs rémunérations,
  • les travailleurs en fonction auront le droit de demander des informations sur les niveaux moyens de rémunération, ventilées par sexe, pour les catégories de travailleurs accomplissant le même travail ou un travail de même valeur,
  • les travailleurs pourront demander les critères utilisés pour déterminer la progression de la rémunération et de la carrière, qui doivent être objectifs et non sexistes.

Obligation de communication :

  • les entreprises de + de 250 travailleurs seront tenues de communiquer - chaque année - l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes au sein de leur organisation,
  • pour les organisations de plus petite taille, l'obligation de communication s'appliquera tous les trois ans.

Si le rapport révèle un écart de rémunération supérieur à 5 % qui ne peut être justifié par des critères objectifs et non sexistes, les entreprises seront tenues de prendre des mesures sous la forme d'une évaluation conjointe des rémunérations réalisée en coopération avec les représentants des travailleurs.

☞ Accès à la justice :

  • les travailleurs victimes de discrimination en matière de rémunération fondée sur le sexe peuvent recevoir une indemnisation, y compris le recouvrement intégral des arriérés de salaire et des primes ou paiements en nature qui y sont liés.
  • l'employeur devra prouver qu'il n'a pas enfreint les règles de l'UE en matière d'égalité et de transparence des rémunérations. Les sanctions en cas d'infraction doivent être effectives, proportionnées et dissuasives et comprendront des amendes.

Face à toutes ces nouvelles exigences, comment les entreprises doivent se préparer ? Quelles sont celles qui doivent s'en inquiéter ? Pour y voir plus clair, nous avons interrogé Virgile Raingeard, à la tête de Figures, plateforme de gestion salariale qui accompagne de nombreuses entreprises. 

#1 Que va changer cette nouvelle norme européenne ?

Et bien concrètement, cette norme va mettre en lumière les pratiques de rémunération des entreprises en les obligeant à publier écarts de salaire hommes-femmes et fourchette de salaire à l’embauche. Les salariés pourront désormais demander des comptes à leur employeur sur la justification des critères de rémunération comparés à leurs pairs. Entre termes de transmission d’infos, c’est une vraie révolution !

En gros, c’est la rémunération qui va sortir de sa boîte noire. Historiquement, la politique salariale d’une entreprise est très opaque. Cette réglementation va mettre en lumière la réalité des politiques de rémunération et ce, à deux niveaux. D’une part, sur les gros décrochés de rémunération par rapport au marché et d’autre part, sur les décrochés en interne, entre les salariés d’une même entreprise. 

L'égalité des salaires (référence au marché) / L'équité des salaires (référence à l'entreprise)

L’entreprise doit proposer un salaire égal par rapport au marché, et équitable par rapport aux salariés en interne.   

Il est important de faire la distinction entre deux notions : l’égalité et l’équité. En termes de rémunération, l'égalité est externe à l’entreprise et relative à la rémunération par rapport au marché. On parle d’un type de poste, d’années d’expérience, de secteur d’activité… En revanche, l’équité est interne à l’entreprise et relative aux écarts de rémunération entre salariés. Pour justifier ces écarts, on doit s’appuyer sur la performance, la valeur des réalisations, l’engagement d’une personne au sein de son entreprise. 

Avec cette exigence de transparence, les entreprises vont devoir se poser 2 questions : 

Est-ce que mes salariés sont sous-payés par rapport à leur valeur sur le marché ?

Est-ce que mes salariés sont sous-payés par rapport à leurs pairs, au sein de l'entreprise ?

#2 De combien de temps disposent les entreprises pour se mettre à la norme ? 

Les DRH vont devoir s’aligner au plus tard en 2027. Concrètement, l’Europe dit aux entreprises de plus de 100 salariés : “Vous avez 3 ans (max) pour vous mettre au travail et implémenter des lois qui doivent contenir ces éléments”. 

Mais si les entreprises veulent le faire dès 2024, c’est tout à fait possible. Si elles veulent faire des choses plus poussées aussi, libre à elles d’ajouter des critères supplémentaires. A l’avenir, elles seront gagnantes.

Ceci dit, mieux vaut commencer par le “minimum”. Certaines entreprises vont déjà avoir du mal à respecter les règles existantes… Imaginez que certains employés de votre boîte sont payés 20% de moins que leurs collègues, sans critères comparables. Il sera complexe de rétablir une équité en un cycle de paiement. Structurer sa politique salariale, se comparer par rapport au marché, comparer les gens entre eux, mesurer ces écarts. Tout cela prend du temps, d’où les 3 ans mis en place par la directive. 

Il faut noter que les entreprises de moins de 100 salariés peuvent aussi s’appliquer ces critères. Elles auraient bien raison de s’y mettre d’ailleurs. En France, Elisabeth Borne a annoncé la refonte de l’index sur l’égalité hommes-femmes notamment pour inclure des éléments de la directive et cela, dans les 18 prochains mois. Cette directive s’adresse à toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Alors quitte à se mettre en ordre de marche pour la réduction des écarts salariales hommes-femmes, autant poursuivre la feuille de route dictée par la nouvelle norme européenne, sans même être concernée au premier chef.

#3 Que risquent les entreprises qui ne seront pas dans les clous ? 

A partir de 2027, les entreprises vont devoir faire preuve de transparence et tout justifier.

L’enjeu de la directive Européenne est le suivant :  les entreprises vont devoir justifier toutes les rémunérations et leurs écarts. Si les critères énoncés ne sont pas respectés (Si l'écart salarial H/F dépasse 5% par exemple), les entreprises devront afficher cette disparité et entamer des négociations avec leurs représentants du personnel.

A partir de 2027, l’entreprise et sa DRH vont devoir tout justifier. En cas de poursuite pour discrimination salariale, la charge de la preuve va passer des salariés à l’entreprise. Par ailleurs, et c’est déjà un peu le cas en France mais ça devrait encore s’accentuer, l’entreprise va devoir justifier ces écarts au regard de critères objectifs. Ces critères constitueront le fondement de preuves pour se défendre d’une éventuelle attaque pour discrimination salariale. 

Mais ce dispositif contraignant ne devrait pas être le principal moteur vers la transparence des salaires. En fait, les entreprises ont tout intérêt à l’appliquer parce qu’elles auront un vrai gain “marque employeur”. Aux US, une étude Gartner (2022) a montré que les boîtes qui ne publient pas les fourchettes de salaire sur les offres d’emploi ont 2 fois moins de candidatures. Une autre donnée de cette étude rapporte que 68% des salariés affirment qu’ils ne postuleront pas aux offres sans fourchette de salaires. 

Sous la pression du marché, les entreprises vont devoir vite s’y mettre. Et le mouvement pourrait bien s’accélérer sous la pression des groupes internationaux tels que Airbnb. Pour eux, ces lois sont en vigueur dans l'État de Californie et dans l'État de NY depuis fin 2022. Or, leur position est la suivante : “Si on est obligé de le faire dans 2 États américains alors en 2023, on le fait partout aux US mais aussi partout dans le monde, sinon c’est ingérable.” 

Plus il y aura de groupes internationaux qui vont le mettre en place, plus les autres entreprises “locales” vont devoir s’y mettre.

#4 Quelle méthodologie suivre pour être dans les temps ?  

J’ai toujours dit aux entreprises : “Comportez-vous comme si toutes les décisions que vous pouviez prendre sur les salaires allaient fuiter demain.” Cela force les entreprises à avoir un garde-fou, ça les force à prendre des décisions objectives et moins discriminantes. Le conseil prend encore plus de sens avec cette norme sur la transparence. En ayant ce garde-fou à l’esprit, les entreprises peuvent avancer en 3 temps. 

Première étape : faire un état des lieux et mesurer les écarts de salaires. 

Avant toute chose, vous devez établir un état des lieux complet de ce que vous proposez. C’est pas rien. Il s’agit de comparer votre grille à celle du marché, de comparer les salaires en interne, de mesurer l’écart de salaire hommes-femmes, de ton écart à poste égal. Il faut savoir lister, quantifier et mesurer tous ces paramètres. Ensuite seulement vous pourrez structurer votre politique salariale.

Deuxième étape : identifier les zones d’action, les déployer, les mesurer.

Une fois réalisé votre audit interne, chose qui n’est souvent pas fait ou bien fait dans la majorité des entreprises, et bien il faut identifier les zones d’action (ex : les endroits où il y a potentiellement de l'inéquité en interne) et mesurer l’impact de vos actions pour pouvoir les corriger l’année suivante.

Troisième étape : prendre le contrôle sur le narratif.

Former vos managers pour qu’ils puissent répondre aux équipes. La majorité des entreprises ne communiquent jamais sur la rémunération, ce n’est plus possible. S’ils ne le font pas, les salariés vont le faire pour eux ! “T’as vu la nouvelle loi ?”- “Tu sais si on est en dessous des 5% ?” etc.   

Ceci étant dit, certaines entreprises communiquent, mais elles peuvent parfois commettre une erreur classique : communiquer sur leur politique salariale alors même qu’on n’est pas ok sur les deux premières étapes (état des lieux + plan d’action). 

La rémunération est un terrain glissant (voire inflammable), et ne doit pas être traité comme un sujet comme les autres En mars 2023, une femme republiait dans un tweet (voir ci-dessous) une offre de job de son entreprise avec une fourchette de salaires en externe. Problème : la fourchette proposée était supérieure à sa rémunération, pour le même job. Après des dizaines de milliers de RT, l’entreprise a dépublié son annonce.  

En termes d’image pour une entreprise, c’est catastrophique. Sur ce coup-là, l’entreprise a créé sa propre fuite en communiquant avant même d’avoir établi un état des lieux et une réduction des écarts salariaux. Pensez au garde-fou, toujours. 

#5 Être à la page en 2027 : mission impossible ?

Impossible non. Mais la mission ne sera pas simple pour toutes les entreprises, c’est certain. Et pour maximiser ses chances, mieux vaut ne pas traîner. Surtout pour les plus grosses entreprises. Imaginez si vous avez des dizaines de milliers de salariés, c’est un travail titanesque. 3 ans pour accomplir un tel projet, ce n'est effectivement pas du luxe. 

Je vais même enfoncer le clou. Prenez une boite comme La Française des jeux. L’équipe RH de La FDJ a mis 10 ans à résorber un écart de 13% à 4% alors que c’est une entreprise qui a une forte culture diversité, inclusion, écart salarial. C’est l’une des meilleures en France avec un index qui a toujours été de 100/100. Moins de 2% des entreprises françaises peuvent avancer un tel score. Alors si un des leaders du domaine a mis 10 ans pour passer de 13% à 4%, imaginez  pour les autres.

Autre chiffre éloquent : 82% des clients de Virgile (des structures concernées par le sujet donc) ont des écarts de salaires moyens hommes-femmes, supérieurs à 5%. Pour rappel, c’est l’objectif visé par la norme européenne. 

#6 Quels effets de bord “non souhaités” sont à envisager ?

Les entreprises qui font de l’individualisation vont peut-être souffrir de la contrainte de justification énoncée par cette nouvelle norme. Avant d’aller plus loin, il est important de distinguer politique d’individualisation et politique discrétionnaire. 

Les  entreprises qui vont être le plus pénalisées seront celles chez qui le discrétionnaire prédomine. Notamment ces structures où le budget d’augmentation est transmis aux managers qui se débrouillent pour le ventiler à chaque membre de leur équipe. Cette pratique est super risquée car elle ne fait aucun cas du partage de l’information entre les équipes. Lorsqu’il va falloir justifier les écarts au sein de l’entreprise, ça va être coton. Cette pratique qui valorise l’individualisation est donc également discrétionnaire. 

Or, il y a des entreprises qui font de l’individualisation de la rémunération sans être pour autant discrétionnaires. Ces entreprises basent les augmentations sur les performances, attribuant les plus grosses augmentations aux stars de la boîte. Et là, c’est intéressant parce qu’il s’agit d’un vrai critère, basé sur une évaluation de performance. Pour ces entreprises, la transparence des salaires peut avoir des conséquences. 

La nouvelle norme va obliger tout le monde à factualiser leurs décisions de revenus. De quoi faire peur aux entreprises : “Vais-je réussir à justifier cette hyper différenciation auprès des autres ?” “L’entretien annuel de performance est-il assez consistant pour constituer une preuve ?” 

Dernier point, pour terminer. Avec la transparence, plus tu fais de la différenciation individuelle, plus ça va se savoir avec pour conséquence d’en froisser certains... N’oubliez pas : la majorité des gens s’estiment meilleurs que la moyenne. Les conséquences en interne. Cette nouvelle directive devrait probablement déclencher une rémunération plus collective à l’échelle de l’entreprise. Les profils “super star” pourraient bien s’engager en “free lance”. Affaire à suivre.

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Vous savez à peu près tout à propos de cette nouvelle directive sur la transparence des rémunérations. Si vous avez des idées pour enrichir le sujet, n’hésitez pas à nous les partager en commentaire dans le champ ci-dessous !
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